past life

Caen, France, 2012
L'obscurité envahissait les petites routes de campagne, malgré l'heure pas si tardive. Seuls les phares de la voiture trouaient les ténèbres afin de guider ses humbles voyageurs à travers la cambrousse. Installée sur le siège passager, Jessica se tassait le plus près possible de la portière, le cœur tambourinant contre sa cage thoracique. La peur et l'appréhension rendait son teint de porcelaine bien plus livide que d'habitude.

— Maman t'as dit pourquoi elle ne venait pas me chercher avec toi?

C'était le deal! Sa mère lui avait promis de venir la récupérer à la gare routière avec ce qui lui servait de beau-père. L'homme à ses côtés afficha un sourire qui fit frémir l'adolescente.

— Je lui ai dit de rester à la maison pour nous préparer un bon petit plat. Après tout, y'a pas besoin d'elle pour faire le trajet jusque Caen, n'est-ce pas?

Jessica ne répondit rien, alors il continua.

— D'ailleurs va falloir t'habituer à ma présence. Ta grand-mère est malade, elle part dès demain pour s'occuper d'elle. Nous serons seuls tout les deux.

Son estomac se retourna dans tout les sens. Une boule monta jusqu'à sa gorge. Elle avait envie de vomir ses tripes mais était incapable de bouger. Une chape de plomb lui tombait sur les épaules et la température chuta si soudainement qu'elle claqua des dents. Impossible. Ses grands yeux bleus trahissaient son affolement, ce qui ne manqua pas d'amuser le conducteur. Il posa une main sur la cuisse de l'adolescente.

Non. Elle n'était pas prête à vivre ce calvaire. Pas encore. Pas cette fois. Elle se sentait prise au piège et alors qu'une voiture passait à l'exact opposé dans cette étroite route de campagne, elle fit l’impensable. Avec vélocité, elle détacha sa ceinture et sauta sur le volant, fonçant droit sur le véhicule d'en face.

Caen, France, 2015
Une sucette dans la bouche, elle prenait ses aises. Aussi gracieuse qu'un phoque, elle se laissa tomber dans le fauteuil et mit ses pieds sur la table. Un silence gênant pour son interlocuteur mais délicieux pour elle s'installa. Il regardait continuellement en direction de la porte d'entrée, anxieux à l'idée que ses parents rentrent plus tôt que prévu.

— T'es sûre de ton coup? questionna Léonard, son camarade de classe.

L'adolescente hoche de la tête, confiante. Consciente qu'il ne va pas tarder à se rétracter si elle le laisse trop cogiter, elle retire ses pieds de la table et fouille à l'intérieur de sa besace. Elle en retire alors un sachet plastique contenant plusieurs pilules.

— Quand tu sens que t'as un coup de mou, t'en prend une et pouf! Tu vas carburer comme jamais. Tu vas pouvoir tenir des nuits entières pour réviser le bac.

Le dilemme s'installe. Les enjeux sont gros pour Léonard, elle en a bien conscience. Sa famille ne croule pas sur l'or et la seule façon pour lui d'être reçu dans l'université de son choix, c'est d'obtenir une bourse et pour ça... il lui faut des notes irréprochables au bac.

— T'as déjà essayé? Ce truc fonctionne vraiment?
— Comme t'as pas idée, qu'elle ment.

Jamais elle toucherait à ces merdes-là. C'est un coup pour en devenir accroc. L'adolescente tend sa main vers lui, lui intimant ainsi le butin qui lui est dû. Léonard rechigne un peu mais très vite, la blondinette se retrouve avec une coquette sommes entre les doigts.

— C'est un plaisir de faire des affaires avec toi, Léonard.

Caen, France, 2020

— T'es quand même pas sérieuse? Merde, Jessica, tu ne vas pas lâcher tes études pour si peu.

Agacée, la blondinette fit claquer sa langue contre son palais. Toutefois, elle préféra garder son énergie pour autre chose que de rembarrer son amie. La laissant énumérer les raisons pour laquelle cette entreprise est stupide, Jessica termine de remplir sa valise. Une chance pour elle, elle ne possédait pas grand chose. Quelques vêtements, du maquillage, une liseuse et un ordinateur portable. Dans l'absolu, elle n'avait pas besoin d'autres choses.

— Termine au moins ton année. C'est la dernière avant de valider ton cursus.
— Ma décision est prise et mon avion part demain.

Elle fouilla ensuite dans sa commode et récupéra les papiers administratifs important. Là aussi, il n'y avait pas grand chose. De toute façon, pour s'installer en Irlande, elle n'avait besoin que de son passeport et de sa carte d'identité.

— Et tu vas dormir où? Avec quel argent?
— J'ai des économies.
— Oui mais...

Cette fois s'en était trop pour Jessica. Bouillonnante de rage et surtout lassée par l'attitude de son amie, Jessica se tourna vers elle. Ses deux billes sarcelles s'implantèrent dans les yeux de la rouquine avec froideur.

— Arrive un moment où il faut savoir prendre son courage à deux mains et affronter en face ses problèmes. T'es une chochotte, ce n'est un secret pour personne mais cesse de tirer les autres vers le bas sous prétexte que t'es toi-même trop lâche pour prendre ta vie en main. Au lieu de me sermonner, va plutôt planter ton petit ami qui couche avec ta soeur. Et au passage, ne t'en fais pas pour moi. Les jolies filles trouvent toujours moyen de se glisser dans les failles et de jouer de leur charme. Encore quelque chose qui t'échappe mais pour le coup, ce n'est pas de ta faute. Tes parents ont perdu à la loterie de la génétique.

C'était cruel mais vrai et les larmes de la rouquine ne suffirent pas à l'amadouer. Au contraire, ça ne faisait que confirmer ce qu'elle pensait d'elle. Jessica soupira, leva les yeux au ciel et quitta l'appartement avec toutes ses affaires.

Un long voyage l'attendait.