Otello

Du plus loin que je parviens à remonter dans mon esprit, j'ai toujours eu un rapport étrange et incompréhensible avec la mort. Mon histoire semble avoir été sillonnée par cette dernière, mes proches n'en ont pas été épargné et pourtant je suis persuadé qu'ils n'auraient pas dû mourir si vite. D'abord, la première personne qui trépassa, fut ma mère. Elle m'enfanta dans la douleur, une douleur terrible et déchirante qui dura pas loin de douze heures avant que je ne daigne montrer le bout de mon nez. Elle perdit la vie cette nuit là, épuisée et vaincue par la douleur, l'hémorragie. Son cœur lâcha, sa vie s'en alla alors que la mienne commençait à peine.Vous savez c'est peut-être horrible pourtant je n'ai pas beaucoup pleuré cette mère inconnue, plus tard dans ma vie. J'étais mélancolique oui, j'aurais aimé la connaître car tout le monde me vantait sa beauté et sa finesse d'esprit cependant, je ne ressentais pas un vide terrible qui me faisait verser des larmes. Plutôt un goût d'inachevé sur la langue, comme si quelque chose s'était produit sans que cela ne soit réellement écrit dans les âtres. Il m'arrivait d'être pris de doute, ma mère serait toujours là si je n'avais pas vécu peut-être. Comme si je prenais la vie de ceux qui étaient trop proches de moi. Cela provoqua en moi une envie terrible d'aider mon prochain, un besoin de rendre aux enfants leurs mères, leurs pères quand leur vie était menacée. Ainsi, encore enfant, je fus passionné par la biologie, l'hématologie et tout ce qui pouvait se rapprocher du corps humain. Et mon envie fut plus puissante encore, quand mon père partit à la guerre. La première guerre mondiale, où il s’engagea courageusement pour aller mettre fin à ces combats, à ce carnage qui dévastait le monde. Lui aussi perdit la vie lors des combats, victime d'une blessure à la jambe qui s'infecta et à cause du manque de soins, de matériels, il mourut d'une septicémie.

Je l'ai pleuré longtemps, car j'avais eu le temps de connaître mon père et d'être proche de lui. C'était un homme bon, généreux et doux qui me fit promettre avant de partir à la guerre, de ne pas me détourner de mes objectifs de vie. De devenir quelqu'un de bien et de généreux pour les autres. La promesse ne fut jamais oubliée. Mes grands-parents paternels devinrent mes tuteurs, ils étaient en bonne santé et m'adoraient ainsi malgré la douleur de la perte de leur fils, ils furent heureux de me prendre sous leur toit. Mes grands-parents étaient des gens simples, des agriculteurs du fin fond du Texas, du genre qui ne dit pas souvent des je t'aime mais qui le prouve chaque jour avec de petites attentions. Je devins un adolescent heureux, quoique pris de doutes parfois lorsque je pensais à mes parents. N'ayant pas de frère ni de sœur, mes grands-parents consacraient tout leur temps à mon éducation et ils furet heureux lorsque je pris la décision d'aller étudier la médecine à l'université d'Austin, dans notre région. La semaine je vivais sur le campus et j'étudiais, le week-end je rentrais chez mes grands-parents et j'étudiais plus encore. Tout ce travail paya et à l'âge de 27 ans je devins chirurgien à l'hôpital d'Austin. Je vivais bien, assez pour permettre à mon grand-père d'arrêter ses travaux au champ afin de se consacrer uniquement à son repos qu'il avait bien mérité après toutes ces années de travail acharné.

Plusieurs fois je rencontrai des femmes, magnifiques, intelligentes, cultivées et intéressantes mais à mesure que la passion s'envolait, je reprenais moi aussi mes affaires pour ne plus jamais réapparaître. Mon attention était entièrement tournée vers mon travail, que j'adorais et à qui je donnais tout mon temps. Il m'arrivait parfois, souvent même, de dormir dans mon bureau afin d'être prêt à repartir travailler en cas d'urgence. L'hôpital étant en pleine effervescence lors de l'été ou des fêtes, il m'arrivait d'assurer le double des heures requises. Et de remplacer mes collègues, notamment aux urgences quand il y avait de gros accidents ou des besoins importants. Malgré tout ça, la mort était présente et si elle laissait parfois mes collègues désemparés, car ils ne parvenaient pas à gérer la frustration que leur coûtait cette perte, après tout l'acharnement dont ils avaient fait preuve, elle me laissait la plupart du temps serein. Pas que je n'étais pas triste en perdant un patient ou en voyant un jeune homme prometteur respirer pour la dernière fois cependant, j'avais l'intime conviction au fond de moi qu'ils partaient pour un monde meilleur, un endroit où ils allaient se sentir bien.

Je perdis mes grand-parents l'année où la seconde guerre mondiale éclata. Hitler prit la Pologne en deux semaines, la France et l'Angleterre firent les premiers à déclarer la guerre à l'Allemagne nazi. L'Amérique elle, promettait une neutralité exemplaire qu'elle respecta plus ou moins, les premières années du conflit. Moi, je me noyais dans le travail. Ayant perdu mes grands-parents, ma seule famille car je n'avais jamais été proche de ma grand-mère maternelle qui avait perdu son mari bien avant ma naissance. Je sentais au fond de moi que ce conflit n'allait pas s'arrêter là, pire encore qu'il allait prendre des proportions que nous n'imaginions pas. C'est sans doute pour ça que j'ai refusé à cette période-là de m'engager dans une relation avec quiconque, même si l'une de mes charmantes collègues à l'hôpital me faisait de l’œil. J'étais prêt à partir, à signer pour rejoindre les hommes au front si besoin est. Parfois je me dis que le deuil, la douleur d'avoir perdu ma famille m'a fait faire des choses idiotes cependant je ne regrette pas ma vie à cette époque, ni à aucun autre moment. J'aurais pu fonder une famille oui, mais je n'en ressentais ni l'envie, ni le besoin. Et mon choix fut le bon, quand il ne fallut que deux années après le début de la guerre pour que l'Amérique s'engage officiellement dans le conflit.

J'étais à l'hôpital lorsque j'appris pour Pearl Harbor et comme tout le monde ce jour-là, je fus incapable de prononcer un mot. La vie s'arrêta dans l'hôpital, dans la ville en entier. Tout le monde écoutait le message à la radio, tout le monde lisait le journal. Pearl Harbor était une catastrophe, un coup violent porté à nos hommes, à notre pays. Une semaine après, l'armée appela les volontaires à se rassembler dans des lieux de rendez-vous dans chaque grande ville. Ma décision fut prise, je donnai ma démission au directeur de l'hôpital qui comprit aussitôt mon geste, je loua ma maison à un couple de jeunes parents et je pris le chemin de la caserne la plus proche. En tant que médecin diplômé ma formation ne fut pas identique aux aspirants soldats qui peuplaient l'endroit. On me forma à traiter des plaies nouvelles pour moi, des plaies par balle, par brûlure aux substances, par empoisonnement au dioxyde quand les bouteilles d'oxygène ne fonctionnaient pas et que les soldats s’abîmaient les poumons en respirant les mauvais produits. En bref, ma formation fut rapide mais intense. J'avais à peine le temps de souffler et pourtant je me sentais à ma place, comme si au fond de moi je savais que je devais être là et nulle par ailleurs. Ainsi je fus envoyé dans le Pacifique, sur un porte-avions afin de soigner et d'aider les pilotes qui rentraient des missions de bombardement. Je passa la plus grande partie de la guerre à soigner les soldats, avant de faire part à mon supérieur de mon envie d'aller au front, d'aider véritablement les hommes qui avaient besoin sous le feu de l'action d'aide et de soins.

Il hésita au début, j'étais un bon élément et il ne voulait pas me voir en danger. Cependant la guerre s'accéléra et les hommes volontaires pouvaient partir au front s'ils le voulaient. On me proposa de participer à une mission de plus grande envergure si je l'acceptais, ce que je fis aussitôt. Un mois après, en plein été, je me retrouvai non loin des côtes françaises, prêt à débarquer avec les miens pour une des plus grandes batailles qui exista en ce monde.

- Enlève ton brassard qui indique que tu es un médecin. La croix rouge se voit de loin.
- Pourquoi ?
- Les infirmiers et les médecins sont les premiers ciblés. Pas de médecin, pas de soins.

Ce jour-là j'ai regardé mon supérieur dans les yeux, parvenant à capter son regard malgré les vagues nous balançant de droite à gauche. Il a donné ses ordres, de courir sans s'arrêter, de trouver un coin pour se protéger et de tirer sur tous ceux qui parlent Allemand. Pendant ce temps-là, j’ôtais de mon bras le brassard indiquant mes fonctions. Puis j'ai serré contre moi mon sac en toile contenant des petites doses de morphine. De quoi aider ceux touchés par des balles, des brûlures ou des obus. Puis l'embarcation s'est enlisée dans le sable avant que l'un des soldats devant moi ne l'ouvre.

La suite, ce fut le carnage. J'étais à Omaha Beach, cette plage est connue pour avoir été le lieu de massacres terribles. L'endroit où les alliés ont perdu le plus d'hommes lors du débarquement, bloody Omaha comme on aime le rappeler si souvent. J'ai couru ce jour-là, essayant de ne pas penser au bruit des balles passant tout prèt de ma tête, de mon corps tendu sous l'effort. J'ai vu des hommes tomber, j'ai essayé d'injecter de la morphine pour en aider certain mais pour la plupart c'était trop tard. Nous étions sous le feu ennemi, les Allemands avaient extrêmement bien préparé leur défense et en l'espace de quelques heures, la plage était recouverte d'hommes qui ne respiraient plus. Pourtant j'essayais d'aider ceux qui avaient encore un espoir, ceux dont la vie n'était pas terminée. Ça n'a pas été assez et dans un ultime geste, lorsque les balles ont fusé sur un blessé dont je m'occupais, je me suis jeté sur lui. J'ai senti la douleur d'une brûlure, puis une autre et enfin une dernière. J'avais du mal à respirer, la douleur était présente partout. Ma vue s'est troublée, j'ai fermé les yeux.



Cerbère
J'ai ouvert les yeux, devant un homme dont j'ai senti immédiatement du respect. Je lui ai demandé, un peu surpris au début, s'il était Dieu ou Jésus, sans la grande barbe. Il a éclaté de rire, avant de m'expliquer qui il était et ce qu'il attendait de moi. Qui j'allais devenir, si je l'acceptais à présent. Un cerbère, le mot ne m'était pas inconnu car j'adorais l'Histoire et plus encore la mythologie cependant je n'aurais jamais imaginé que cela puisse exister vraiment. C'était le cas et il attendait de moi une allégeance totale, une loyauté sans faille. Il m'avait observé sur cette plage, qu'il m'a dit. Et mon geste désintéressé, celui d'offrir ma vie pour sauver cet homme blessé que je soignais juste avant de prendre ces balles, a fini de le convaincre. Il me voulait pour le représenter. Certes je n'étais pas seul, il m'a également informé que les cerbères étaient plusieurs et que notre loyauté les uns envers les autres devait être totale également. J'ai accepté de le représenter, qu'est ce que j'allais perdre de toute façon ? Je n'allais plus soigner les êtres humains mais les accompagner vers le maître du monde souterrain. Je ne gagnais pas au change c'était juste différent, au final. J'ai été formé à mes nouvelles fonctions, mes nouveaux pouvoirs qui se révélaient fantastiques dans mon regard surpris. En l'espace de quelques temps, j'appris que le monde magique existait ainsi que les créatures. Et que j'en étais une à présent. Moi qui n'étais pas forcément croyant, je me suis découvert une loyauté et une foi incroyable envers Hadès, le dieu de la mort en personne. J'ai appris à me changer en doberman, découvrant par la même occasion que la puissance de mes pouvoirs ne cessait d'augmenter en présence des autres cerbères. Et puis, quand Hadès décida que j'étais prêt il me renvoya.

Ce qui était un apprentissage de plusieurs mois dans le monde souterrain, était à peine deux minutes sur terre. Je repris une énorme bouffée d'air frais, le corps toujours étendu sur ce soldat que j'avais tenté de protéger. Lui aussi fut surpris, très surpris même et me demanda entre deux râles si j'allais bien. Je n'avais plus mal, d'ailleurs la douleur n'était qu'un lointain souvenir à cet instant. J'ai hoché la tête, pris mes instruments et je l'ai aidé à se mettre à l'abri afin de le soigner. Hadès avait été clair, je devais me fondre dans la masse des humains afin de mieux me faire accepter. J'ai ainsi commencé à travailler pour lui, tout en assurant mes fonctions de médecin sur le front. Évidemment j'étais avantagé par quelques nouveaux dons et plus d'une fois ces derniers m'ont évité de finir entre quatre planches. La guerre prit fin et mon tour du monde commença. J'étais fier tout de même d'observer de mes propres yeux, moi qui étais un fou d'Histoire, des évènements historiques tels que la guerre froide, la chute du mur de Berlin ou le passage à l'an 2000.

J'ai travaillé un peu partout où mon maître m'envoyait. Parfois je restais dans une zone quelques années, avant qu'il ne m'ordonne d'aller ailleurs. Les années ont passé, mon corps a presque arrêté de vieillir. Je prenais lentement les années, si lentement que je me sentais parfois comme ces êtres immortels que je croisais lors de mes aventures.

Black Waters
Hadès s'est installé à Black Waters en Irlande et il m'a fallu quelques années avant de rejoindre cette ville, sous son ordre d'ailleurs. L'endroit était infesté de créatures surnaturelles et il avait besoin de ses plus fidèles alliés afin de l'aider. Afin de mieux me faire accepter, j'ai acheté un petit night-club/club de strip-tease qui tombait en ruine et je l'ai redécoré. Je l'ai baptisé Overlord, un clin d’œil à la bataille de Normandie où j'ai perdu la vie et où j'ai également ouvert les yeux pour vivre ma nouvelle existence. L'endroit vient de rouvrir et il attire déjà beaucoup de clients. J'espère que l'affaire sera florissante et que le maître des enfers ne m'enverra pas tout de suite à l'autre bout du pays, je voudrais profiter de cet endroit quelques années avant de devoir faire mes valises pour partir. C'est que cette ville semble charmante au premier abord, même si je ne sais pas encore quels sombres secrets elle cache.