past life
Le chaos n’est pas un gouffre, le chaos est une échelle.(XX/XX/1975)
Naissance
Naissance du bâtard. Né sans blase. Sans dignité. Sans origine. On me les devine arméniennes, sûrement parce que la putain de Maternelle a donné un faux nom qui rappelait le Caucase.
Enfance de merde, rythmée par l’Orphelinat. J’suis plus en âge de porter des couches culottes. J’suis parqué dans une grande piaule avec pleins d’autres mômes. J’sais pas ce que je fais là, ni pourquoi j’ai pas de maman ou de papa. J’suis perdu, paumé, déphasé. Mon lit est blanc en métal rouillé... Il est froid. Froid comme les surveillants qui vont et qui viennent sans parler. Jamais. Communication biaisée. J’m’y essaie parce que j’en ai besoin. Besoin des autres, de causer, d’échanger. Au premier pourquoi que je prononce j’suis défoncé. J’apprends que le silence est un Roi sans Reine. Que je n’ai rien d’intéressant à dire, à faire ou à penser. J’apprends que je ne suis Rien ici ou ailleurs et que le pays se fout de mon existence autant que mes parents.
Qui ?La vie est un métronome.
On se lève, on petit-déjeune des céréales qui ressemblent à de l’avoine, on va à l’école, on revient, on dîne un bouillon sans goût, on est lavé sous un jet d’eau gelée et on dort.
Perpétuellement. Les heures sont des jours. Les jours sont des mois, les mois sont des années.
La sociabilisation se fait mal. Bientôt je ne vais plus à l’école parce que je préfère la rue pour becter de la vraie nourriture. J'fais la manche avant de voler. Choure dans le fond des poches de tous ces bourgeois de la Capitale.
Bande de bâtards, que je rage entre mes crocs acérés. Le plus ironique c’est que je sais que c’est moi, le bâtard de l’histoire.
Le commissariat devient vite ma seconde maison. A l’Orphelinat on désespère de venir me récupérer. On me frappe de plus en plus fort pour me corriger.
C’est pas bien ce que tu fais. Ca ne change rien. Ca me donne encore plus envie de me barrer. Mais c’est un cauchemar administratif pour sortir de là et puis, il paraît que je suis trop vieux, déjà, pour intéresser la moindre famille.
Personne ne voudra de celui-là que je les entend murmurer dans le couloir, quand ils pensent que je dors.
C’est fini pour lui maintenant, trop âgé. Et puis il est vilain avec ses yeux globuleux. Foutaise. Personne en sort de cet Orphelinat de merde. A mon âge ou à un autre. Avec de beaux yeux ou des yeux dégueulasses. Depuis que je suis là – des millénaires – il n’y a eu que deux adoptions qui se sont soldées par des échecs. On est mal nourri… On est des sacs d’os. On est toujours malade. Toujours fatigué. On en a tous déjà marre de vivre alors qu'on est plus près du départ que de l’arrivée.
J’ai peur, quand même. Peur de cette grande chambre. De mon lit rouillé qui est de plus en plus froid. J’ai peur du noir. J’ai peur qu’on me mente lorsqu’on me dit qu’il y a un monstre sous mon lit pour ne pas que j’me lève pendant la nuit, même pour pisser. J’ai peur qu’il ne sorte jamais de sa cachette. J’ai peur qu’il m’oublie le jour où il fera un rapt. J’ai peur qu’il n’existe pas.
Mais le monstre existe.(Année 1987)
Adoption
Après de nombreux essais ratés, j’arrive à fuguer sans qu’on ne me retrouve dès les premières heures. Les premières fois, j’avais tenté de sortir de la Capitale, jusqu’à comprendre qu’un gamin seul ça se repère beaucoup trop rapidement. Cette fois, je décide de prendre mon temps, et de rester dans le coin quelques jours avant de partir en direction de l’Asie… J’sais pas pourquoi, ça ne m’attire même pas. Mais, si ça ne m’attirer pas, personne n’aura l’idée de me chercher par-là bas, non ?
J’ai 12 ans et nulle part où aller. Alors, je m’éloigne du centre dense pour rôder comme un damné du côté des beaux quartiers, manière de pouvoir racketter les thunes des politicards bien habillés. J'enchaîne les mauvais choix, parce que je suis un peu con parfois. J'ai l'idée du siècle quand je choure la Rolex d'un Soboliev. J'me prends la trempe de ma vie, mais j'ai plus les larmes pour pleurer les coups qu'on me donne. Ca me fait remarquer. Soboliev arrête de me cogner quand je manque de perdre connaissance, comme s’il avait lui-même capté la limite de mon corps.
Intéressant qu’il dit en claquant des doigts. Je crois que c’est pour le coup fatal… Mais non. Soboliev détache sa Rolex pour me la refiler. Soboliev fait un signe de main pour qu’on me relève.
Le monstre a fait son choix.
L'adoption se conclue comme un pacte avec le Diable : Rapidement. J'retourne même pas à l'Orphelinat. Paraît qu'on fait pas attendre la Podolskaïa.
La Podolskaïa efface mon existence jusque-là. Falsifie papiers et autres conneries. Pour la Russie, désormais, je suis né à Saint-Pétersbourg. J'ai une mère. J'ai un père. Je suis reconnu comme légitime. Il n'y a que moi qui sait que c'est pas vrai et tous les gens qui sont morts pour avoir refusé de nous aider - ou ceux qui sont morts pour avoir accepté de nous aider, un flingue collé sur la tempe.
(Années 1988-1992)
Dressage
Surprise. Il y a pire que l’Orphelinat. Il y a Nikolaï et la Podolskaïa.
Mes premiers mois de liberté je les vis enchaînés. Ou pas tout à fait. Dans le fond d’une cave, sans lumière ni horloge. Le temps se perd, les jours se ressemblent. De rassurant, il n’y a que la voix de celui qui se targue être mon nouveau père. Papa qu’il réclame que je l’appelle, Nikolaï. Il me lit des histoires, parfois, le soir ou le matin. L’après-midi peut être. Il me fait descendre des paniers pleins de nourriture pour que je devienne grand et fort, comme il m’espère. Il me pose des questions de culture générale. Quand j’ai juste j’ai le droit de prendre une douche. Quand j’ai faux, des hommes cagoulés rentre dans ma cave et me frappe jusqu’à ce que je m’endorme.
Papa, il s’aperçoit vite que je suis bête. Que j'ai pas les notions de langue, que je sais à peine écrire, que j'me branle de l'histoire, de l'art, des maths et des sciences. Et Papa, ça, il ne tolère pas. La stupidité le répugne. Lui file de l’urticaire. Le dégoûte, même. Mais, Papa, il n’a pas trop le temps. Bientôt, j’ai des précepteurs qui viennent me voir, jamais l’inverse. Ils m’apprennent ces choses que j’ai toujours détesté. Je n’aime pas plus les langues, l’histoire, l’art, les maths ou les sciences mais, Papa est intransigeant. Il ne me laisse pas le choix. Il me fait exceptionnel. Il me dresse à coup de claques, de beignes, de mandales, de coups de latte, de poings, de pieds, de fouet – j’te jure que c’est plus efficace que quand t’es noté, sur 20, 10 ou même 100. Et quand je suis vraiment mauvais, je suis torturé. Parfois je suis torturé même pour rien. Papa me dit que c’est pour que je résiste à la douleur. Que je ne dois pas pleurer, chialer, chouiner, couiner, gueuler, râler, beugler… Que tout ça, c’est pour les PD.
Et est ce que tu es un PD mon Fils ? Jamais.
J’sais plus quel jour on est, des Hommes qui ne sont pas des précepteurs m’apprennent à me battre, à tricher, à mentir et surtout à gagner, sans prestige. Qu’importe. Perdre n'est pas envisageable dans une communauté comme celle-là, parce que perdre signifie que tu meurs. La pitié, c'est pour les faibles - la deuxième place c'est pour le premier perdant. Papa me spécialise en Systema, Krav Maga et Muay-thaï avec les meilleurs entraîneurs du pays qu’il me dit. La notion je ne l’ai pas. Le meilleur ce sera Moi. Et, ce soir, pour me féliciter de le devenir, Papa m’envoie une femme. Le sexe devient ma récompense.
J’ai 16 ans quand je sors de là. Je ne connais rien ou trop de choses. Papa est devenu tout mon univers ; un univers que je ne veux pas décevoir.
Je t’ai donné une chance inouïe qu’il me martèle
ne la gâche pas, sois ma plus grande réussite. Il me fait monter sur des rings. Je gagne des championnats de Muay-Thaï. Moscou parle de moi dans les tabloïds. Je suis un espoir dans ce sport de combat parce que je gagne. Je remercie mon bourreau d’être mon sauveur en remportant des titres.
Tous.A 18 ans, je suis invaincu et l’UFC m’ouvre ses portes.
(Année 1993)
Surnaturel & Transformation
Drame. Papa est pris dans une embuscade. Il se défend comme il peut mais est mortellement blessé par l’un de ses hommes – un flic infiltré. Le traitre veut sa peau mais il la supposera seulement. Nikolaï arrive à fuir avant que l’autre ne puisse être certain du dessein qu’il lui réservait. Il faudra des jours de recherches intenses pour que le corps d’un homme soit extirpé de la Volga. Même blessure, même ADN, même dents. Les rangs de la Podolskaïa tremblent. Moscou jubile de la chute de cette tête pensante. Sa mort est inscrite à l’encre dans les journaux les plus populaires ; laisse au plus petit gang la possibilité de devenir ce que nous étions.
Sauf que Papa n’est pas mort. Papa rentre à la maison, après ses jours de recherches intenses. Affaiblit mais pas mortellement blessé. Papa m’explique. Le surnaturel m’explose en pleine gueule : Papa s’en remettra parce que Papa est un lycan.
Chamboulement.
Papa reste mort aux yeux du monde, courroucé par la chute qu’il vient de subir. Lui le parfait. Lui l’invincible. Lui… Lui se terre, pour que son prénom tombe dans l’oubli ; sous une pierre tombale surfaite. La Podolskaïa ne connait pas son année la plus glorieuse mais elle est rapidement reprise par Vladimir Soboliev, mon oncle.
Alors Papa rêve. Rêve que la Podolskaïa domine le monde avec des Hommes Puissants. Fiables, forts, fermes, intelligents, dociles. Des Hommes comme moi. Ses créations personnelles. Tous choisis selon des critères bien spécifiques. Des Elus, sélectionnés sur mon modèle. Ca serait, son grand-œuvre.
Papa expérimente.
Papa me mord.
(Années 1994-2010)
La Podolskaïa ; La Survivante
Papa voue une nouvelle passion à l'adoption et dévalise presque tous les orphelinats du pays de ses gamins les plus grands, les plus forts et les plus vaillants. Les caves se remplissent de marmots auxquels Papa fait oublier les heures, les jours et la caresse du soleil sur leur peau. Le topo est plus impersonnel parce que les marmots sont nombreux. Papa ne leur lit pas des histoires et il ne leur donne même pas de nom. Ce ne sont que des numéros – faut dire que le taux de suicide est grand. A leurs 16 ans, quand ils ont le privilège de monter sur un ring, ils ont le droit de choisir eux même sous quels prénoms ils veulent renaître.
La Podolskaïa grandit alors de ces mercenaires dressés à tuer pour elle. Mère spirituelle se calfeutre sous les remparts solides des corps de ses fils prêts à mourir pour elle.
Moi, je suis chef de gang. Je me charge de la traite des femmes, de la prostitution et des enlèvements. Morale crève. Je finis par me dire que tout ce qui a une paire de seins, un cul et un ventre plat n'a pas besoin d'avoir ni de cerveau, ni d’âme. C'est du bétail que je vends au détail. Des pépites qui ont besoin de thune pour briller davantage. Je me lance dans la prostitution de luxe, profite de notre secteur - la Podolsk - pour corrompre les hommes politiques ou la police avec de jolies formes. Je m'applique, tente de rendre Papa fier. Je brasse plus de gonzesses que mon oncle de papelards et de pèze.
En parallèle, je monte dans la cage. Les médias parlent de moi et de mes combats. Je suis sacré champion de l'Ultimate Fighting Championship en 2000. La Podolskaïa domine, les concurrents s’écrasent. Les suspicions de triche sont tuées dans l'oeuf.
La Podolskaïa s'étend, la Podolskaïa est trop puissante pour qu'on en menace le fils Prodigue. La Podolskaïa fait trop brasser de fric au pays.Je rends mon titre quelques années plus tard pour prendre la place de Capo. Mon gang est cédé à Bronislav, l'un de mes frères, quand la gestion de nos troupes m'est entièrement attribuée.
(Année 2020)
Vesselov
Merde technique. Une putain a fuit le pays. Une que nous avons vendu quelques années plus tôt. La client mécontent réclame son dû et un service après vente. Rire dans les rangs de la Podolskaïa, le service sera facturé au prix du neuf s'il tient tant à sa dulcinée. Pour le tarif, Vesselov me réclame comme chef de file pour récupérer la fille. Négociation corsée. Le prix est encore gonflé mais j'accepte d'aller la lui chercher avec deux de mes frères.
Départ imminent pour l'Irlande.
Vesselov me parie que c'est là qu'elle s'est terrée. Il y tient à sa putain - et surtout aux papiers qu'elle semble lui avoir volé.
Ah ça oui.