past life

1596 - Irlande (Campagne Irlandaise)
Les historiens ne retiendront que peu d’anecdotes de cette époque. Né durant les guerres entre le Royaume d’Irlande et la couronne Anglaise.  Des batailles qui ont forgé l’histoire du Royaume-Uni tel qu’on le connaît actuellement. Ces souvenirs sont assez vagues pour moi, imaginez que certains oublient ce qu’ils ont fait la veille alors se souvenir d’une vie de quatre siècles est chose compliquée. Je n’ai pas de véritables souvenirs de mes parents ou d’une éventuelle soeur ou d’un frère. Tout ce dont je me souviens sont des bribes de souvenirs, une ferme dont la structure semblait craindre le moindre coup de vent, des étendues vertes à en perdre la ligne de l’horizon et les remparts d’un haut château surplombant une colline droit devant, juste derrière une épaisse forêt de chênes et de hêtres. La vie en ce temps là était difficile si l’on faisait parti du petit peuple. Les maladies, l’argent, tout était bien compliqué, beaucoup plus que maintenant c’est certain. Si je force un peu ma mémoire je peux me souvenir d’un cheval que je montais à l’aide d’un homme au dos voûté et à la grosse barbe grisonnante. J’ignore si cette personne est un membre de ma famille, ou un voisin, mais il est l’une des rares figures que je peux assimiler à mes sept ou huit ans.

1612 - 1621

Cette époque me revient un peu plus clairement. Je suis seul, ma famille n’est toujours pas là. Je me suis forgé d’ailleurs deux théories au sujet de cette disparition aussi importante. Soit mes parents sont morts alors que j’étais tout petit d’une maladie quelconque de l’époque soit j’ai été adopté par une autre personne, soit les deux théories s’assemblent ce qui donnerait une explication à ce vieux monsieur barbu. Le temps n’étaient pas non plus les plus beaux et heureux, a mes seizes ans je travaillais dans une écuries. Nettoyant les box et prenant soin de ses locataires. Principalement des chevaux dédiés aux travaux de ferme et au bois. Les hivers étaient rudes et difficiles, on est bien loin de l'opulence actuelle et de l’image que les gens peuvent avoir de moi. En ces temps reculés je n’étais qu’un gamin sans le sous qui travaillait plus de douze heures par jour pour avoir de quoi me nourrir un minimum. Le temps passa, lentement, extrêmement lentement. Je n’irais pas à dire que l'ascension sociale de l’époque était magistrale mais passer du ramassage de crottins à la fabrication des fers pour le Lord de ma région reste une évolution assez notable.

1635 - Londres

Mes bons et loyaux services m’avaient permis d’entreprendre un voyage plutôt inattendu à l’époque dans la ville de Londres. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment apprécié les anglais, disons que les guerres n’ont jamais bien aidé à nouer des liens fortement positifs entre les deux royaumes. J’avais quitté le monde équestre pour me tourner vers un domaine un peu plus intellectuel. Après de nombreuses années d’apprentissage et à l’aide des bonnes personnes j’avais acquis assez de connaissances en lecture et en mathématiques pour m’émanciper un peu. Fort positif de toutes ces expériences, j’avais écrit un recueil de poèmes que je comptais bien présenter à la noblesse britannique afin de le faire publier et ainsi avoir une meilleure notoriété et surtout des revenus acceptables. Le temps où je dormais dans la paille sèche et sale était bien loin, et mon désir de réussir et de me forger une existence avait toujours été un moteur formidable dans mon existence. Riche de mes rêves et de mes ambitions je fis la rencontre d’une jeune anglaise. Terriblement belle, irrésistible même. Elle n’avait rien à voir avec les filles de campagne que j’avais côtoyé jusque là, non. Elle représentait la noblesse, la richesse et un mystère que j’aurais mieux fait de ne jamais essayer de percer. Une chevelure noire aux boucles parfaites, un teint pâle et des yeux sombres avaient conquis mon coeur dès notre première rencontre. Les rendez-vous se succédaient et les conversations s’éloignaient de plus en plus de son métier d’éditrice et d’auteure. Les confidences allaient bon train et les petits thés biscuits remplissaient facilement mes semaines. Il était devenu presque évident qu’au fil des semaines et des mois nos corps semblaient s’être mêlés tout comme nos coeurs. J’étais naïf et avide d’aventure, en quête de l’amour parfait que je n’avais jamais songé à trouver un jour. La belle brune se transforma peu à peu en monstre enivrant, ses crocs qu’elle m’avait confié avoir avaient percé mes chairs maintes et maintes fois; créant en moi ce désir malsain de recevoir ces morsures encore et encore. La dépendance à ce venin s’était créée et revenir en arrière était devenu absolument impossible. Mes désirs avaient changés, mes perceptions étaient devenues flous et embuées d’une envie nouvelle et effrayante à la fois. Si la peur des années n’était pas dans ses préoccupations, je savais qu’un jour je serais beaucoup trop vieux pour elle et sa beauté éternelle. Après de nombreuses concessions et négociations elle avait franchi le pas. Ses crocs avaient perforé ma gorge pour la dernière fois, laissant ma vie couler sur sa langue, laissant mon regard étincelant perdre de son éclat. Alors que je sentais la vie me quitter, son précieux liquide rubis coula dans ma bouche.
Black out -

1660 - Entre Londres et Black Waters

Voilà vingt-cinq ans que je suis devenu l’ombre de moi même, vingt-cinq ans que je me bats avec mes démons quotidiens. Tant de temps semble s’être écoulés depuis ce baiser langoureux et cette délicieuse morsure dans l’intimité d’un lit conjugal. Les années étaient devenues mes stigmates, l’absence de cette diablesse m’avait plongé dans une horreur qui me semblait être sans fin. Elle avait abandonné le navire quelques mois après ma transformation, me laissant seul avec ma violence, seul avec ma rage et mon incompréhension de cette nouvelle vie qui m’avait été offerte et qui sonne maintenant comme un fardeau bien lourd. Bien trop lourd. Cette époque semblait être l’âge d’or du crime et des disparitions mystérieuses, m’aidant à passer mes meurtres nocturnes pour de dramatiques accidents ou des vengeances de tueurs en série ou autres crimes passionnels qui auront la côte encore deux bons siècles plus tard. Mes pulsions animales avaient mis du temps à s’apaiser, du temps à être comprises et maîtrisées. J’en serais même venu à regretter la bouse de vache et les crottins de chevaux de cette écurie campagnarde. Depuis cette morsure je n’avais pas quitté la capitale anglaise, subissant les aléas historiques qui à l’époque me passaient totalement au-dessus de la tête. Presque trente années humaines pour pouvoir maîtriser cette mort que je regrette d’avoir désirée. Trente années à maudire cette femme qui s’était jouée de moi et m’avait lâchement laissé dans la nature une fois ses méfaits accomplis. Depuis ce jour, ma confiance en ces voluptueuses créations divines a chuté et peine à être redorée même au XXIe siècle. La souffrance que j’ai endurée pendant tant d’années, qu’elle soit physique ou psychologique restera à jamais une partie de moi. J’étais amoureux, je suis tombé dans ses filets comme sûrement une multitude d’hommes avant moi et d’autres dans l’avenir. Son visage resta ainsi à jamais gravé dans mon esprit, comme un seau au fer chaud inscrit sur la peau dure d’un animal de ferme.

Une fois ce paquet d’années passées, ma route repris dans le sens inverse, quittant la belle Angleterre pour retrouver mes racines Irlandaises. Mon identité avait elle aussi changée, qui aurait pu garder cette apparence au bout de trente ans sans éveiller les soupçons?  Retrouvant ainsi mon amour pour la littérature, je devins en quelques années un mystérieux écrivain qui, à force de persévérance s’était fait une place dans la culture britannique. Les ouvrages ne traitent plus de jolis poèmes joyeux et pleins de naïveté. Le sujet se tourne plutôt vers la psychanalyse, l’étude de l’être humain dans ses plus sombres aspects. Exploitant ainsi la face la plus sombre que j’ai pu connaître au cours de mon existence. Plébiscité par certaines communautés de médecine et de recherches dans les domaines psychiatriques, j'obtiens quelques années plus tard le titre de “docteur”. Associez cela à un psychiatre dans le monde moderne mais à l’époque la dénomination était plus large. Me tenant à l’écart du monde, mon identité était dissimulée derrière le pseudonyme “Black Crow”, indiquant ainsi d’aucune manière mon âge, mon nom ni même ma nationalité. Depuis cette période, vivre dans le secret était devenu mon seul moyen d’exister.

Années 1910 - 1920 - France et Angleterre : L’horreur de la guerre.

Les siècles passent, les évolutions sont merveilleuses. Le pauvre paysan que j’étais jadis n’aurait jamais pu imaginer de tels changements dans l’avenir. L’automobile, le téléphone, les moyens de communications et de transports étaient bien loin des chevaux bouseux et des missives qui mettaient des jours à arriver au destinataire et autant pour fournir une réponse. Sans parler des progrès médicinaux, ce siècle était pour moi aussi intéressant que dangereux. Les guerres allaient bon train un peu partout dans le monde et même dans des contrées que je n’avais encore jamais visitées. J’avais au cours des années mis la psychanalyse de côté pour me concentrer sur la médecine moderne. J’avais appris ici et là, m’étant rendu en France quelques temps, étudiant la langue tout comme les avancées dans ce domaine. Alors que la première grande guerre de l’histoire faisait rage, j’étais retranché dans le rôle de secours dans les postes de garde nocturne. J'avais réussi à jongler avec mes incapacités diurnes et les besoins réels en terme de soin. Fort heureusement pour moi j’avais maintenant une maîtrise totale face au sang sinon bonjour le massacre. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer de la part d’une créature comme moi, j’ai contribué au sauvetage de plusieurs vies sur le terrain. Après quoi; je fis un retour discret en Angleterre. Marqué par ce que j’avais vécu durant plusieurs années sur le sol voisin. Ma vie repris son court, plus difficilement peut être mais sûrement. Me voilà dans la ville de Liverpool. Le gamin perdu et illettré était bien loin maintenant, j’étais maintenant capable de faire de nombreuses réalisations que ce soit dans le domaine médical, littéraire et mathématiques. Les années m’avaient permis d’enrichir mes connaissances dans de nombreux domaines et les siècles qui s’offraient à moi me donnaient de bons espoirs pour que cela perdure encore. Il va de soit que mes identités s’étaient perdues entre les années et les lieux, sous des pseudonymes différents, qu’ils soient anglais ou français.

Années 1930 - 1960 - Munich

Voilà maintenant trois siècles que je foule les terres britanniques, trois siècles qui ne m’ont jamais parus aussi courts. Si la lassitude des premières années m’aurait presque fait regretter mon sort, ma vie actuelle me plaisait. Les avancés sociales, culturelles, l’ouverture au monde était des choses vraiment merveilleuses. Je me suis toujours mis un point d’honneur à vivre avec mon temps; à ne pas être dépassé par une solitude que j’aurais laissée faire et ronger mon être. Me voilà maintenant en Allemagne, après la seconde Guerre Mondiale. Autre conflit majeur qui ne pourrait jamais être raconté fidèlement. Aucun texte ne pourra retranscrire l’horreur de ces années. C’est d’ailleurs à cet instant que je me suis rendu compte que le pire des monstres était bel et bien l’homme. Plus cruel et inhumain que les créatures que j’avais pu rencontrer jusque là. Ma vie m’avait emmené à Munich durant cette période d’après-guerre. J’étais devenu un professeur en histoire spécialisé dans la période historique du XVIe et XVIIè siècle en Royaume-Uni. J'ai d'ailleurs écrit deux ouvrages à ce sujet, l'un détaillant les principales action politiques oubliées de l'histoire au fil des années et le second parlant des évolutions des conditions de vie des hommes ainsi que des prouesses technologiques de l'époque et leurs évolutions successives. Ces ouvrages littéraires techniques m'ont valu une bonne reconnaissance pour les personnes du métier et pour l'éducation en général. On retrouve aussi à cette époque quelques ébauches de récits de guerre ici et là, des textes non publiés et informels qui ne seront malheureusement jamais connus du grand public. Je pense avec le recul que tout ce qui s'était déroulé depuis Verdun m'avait profondément marqué en tant qu'être "vivant" (ou plutôt mort, mais vu que je m'efforce de me fondre dans la société j'ai trouvé ce terme un peu plus approprié)  et je me sentais de devoir écrire sur le sujet même si les élucubrations d'un vieux mort sont parfois sans importance.

Et Maintenant ... Black Waters
Une fois n’est pas coutume; mon retour se fit une fois de plus en Irlande. Comme quoi on finit toujours par retourner à la source. Les années suivantes ma vie se ponctua de voyages au travers de l’Irlande, du Pays de Galles et de l’Angleterre. Différentes identités, différents métiers m’ont permis de passer les décennies encore et encore. A l’aube des premières années du XXIè siècle je me trouve maintenant à la tête d’un orphelinat. Mon expérience de vie m’a appris à faire preuve d’empathie envers les autres. Si personne ne m’avait donné de chance il y a près de quatre cent ans de là je n’aurais jamais eu cette vie alors il est pour moi important de donner à la jeunesse actuelle un espoir en un avenir meilleur même si rien n’est rose et que le monde semble de plus en plus compliqué. L’époque des ventes de carottes et de cirage de chaussures est belle et bien révolue. Riche de mes connaissances dans des domaines très variés je sais très bien comment me placer sur un grand panel d’activités. Mon établissement a ouvert ses portes début 2014 et j’en suis toujours à la tête.