past life

Mon monde n'est qu'un labyrinthe de ténèbre et d'illusions. Dès que je crois trouver la sortie, je me heurte à mon reflet. “Soraka, regarde ce que tu es, où ce que tu es et ce que tu seras." Mon visage, plus précisément mon regard, est une évidence : l'obscurité est ma demeure et une partie de mon âme.

J'ai toujours vécu sur la face cachée de la lune. Dans le froid et la noirceur, dans un désert bleu et blanc, cristallin et parfois écarlate. Là-haut, aucune loi n’existe. Je ne suis pas soumise aux mêmes lois que les Terriens. La gravité ne m’atteins pas autant, tout comme le temps. La vérité est que vivre sur ce satellite, même sur son côté le plus sombre, est une métaphore trop belle pour ma réalité. Cette réalité se passe malheureusement sur Terre, avec ces maudits Terriens. La face cachée de la lune donc je parle n’est qu’une manière de dire que je côtoie le surnaturel depuis que je suis enfant. Je vis dans ce monde que le commun des mortels ne voient pas. J’existe dans ce qui n’existe pas à leurs yeux.

Très jeune, j’ai été vendu à un couple désireux d’avoir un enfant. Mes parents, aussi pauvres qu’égoïstes, m’ont échangés contre un sac de billet. Ils ne voulaient pas de moi, contrairement à ces monstres. Le couple en question n’avait pas seulement soif d’enfant. Ils avaient également soif de sang. J’avais 5 ans lorsque j’ai découvert que ce qu’il y avait dans leur coupe n’était pas du jus de fruits. Ils aspiraient la vie des vivants, suçaient le sang de ces pauvres gens.

Ma mère adoptive avait des règles strictes. Elle buvait toujours le sang à la coupe, et non au corps. Ses lèvres étaient toujours teintent de rouge pour éviter que l’hémoglobine ne tâche. Elle était toujours habillée avec élégance. Elle vivant une vie de rêve, avec la fille qu’elle désirait avoir depuis plus d’une centaine d’année. Pour elle, je n’étais pas un breuvage, j’étais un trésor. Elle me couvrait d’amour, passait ses nuits à mes côtés parce que j’avais peur des monstres, au lieu de sortir et de profiter de la noirceur. Elle caressait mes cheveux, me sentait des berceuses jusqu’à ce que mes yeux se ferment. Elle me répétait sans cesse à quel point elle m’aimait, et que bientôt, j’aurais moi aussi l’immortalité. “Lorsque tu seras assez grande”, me murmurait-elle.

Mon père, cependant, était beaucoup moins démonstratif. Il dormait en journée, pendant que je jouais, et sortait chasser dès la nuit tombée. Les seuls moments que je passais avec lui était lorsqu’il m’obligeait à le suivre dans sa chasse. Dès lors, je devenais un appât. Il m’abandonnait dans les ruelles jusqu’à ce que je pleure et que je le supplie de revenir me chercher. À chaque fois, ce n’était ni la silhouette de mon père ni celle de ma mère qui se dessinait dans la pénombre, mais celles d’inconnues. Ils s'approchaient de moi, parfois inquiet, parfois satisfaits. Qu’ils soient bons ou mauvais n’y changeait toutefois rien. Pour mes parents, ces gens n’étaient que de la nourriture.


J’ai grandie. J’ai appris à appâter de différente façon. Il m’arrivait encore de pleurer, sur commande maintenant, mais à mon âge il est difficile d’attirer la sympathie. Je me contente le plus souvent de charmer, de jouer les filles niaises, ou trop éméchée. Il est stupéfiant de constater que les monstres sont aussi facilement attirés par la fragilité. Par monstre, je ne parle pas nécessairement des vampires, des loups-garous ou encore des sirènes. Je parle plutôt des humains. Ces êtres pourtant dépourvus d’humanité. Ils me répugnent et m’obsèdent à la fois. Ils m’ont abandonnés, chassés, mais je fais tout de même partie de leur espèce. C’est un détail qui m’a toujours hanté. Rejetée par les miens, mais prisonnière d’un monde noir et violent qui ne m’appartient pas. J’ignore où est ma place.

Puis, le fameux jour est arrivé ; celui du bal. Détrompez-vous. Il ne s’agit pas de ce bal que toutes les jeunes filles attendent avec impatience à la fin de leurs études. C’est en fait une funeste cérémonie censée signer mon arrêt de mort - ou mon arrêt de vie.

Comment expliquer la peur que j’ai ressentie cette journée-là? J’ai pris la fuite, sans prendre la peine d’écrire à ceux qui m’avait élevé. Je me suis sauvée comme une lâche en emportant ma frousse et mes armes, et je me suis réfugiée dans un bar. À cette époque, je n’avais pas encore ma majorité, mais on ne m’a pas jeté pour autant. Debout tard dans la nuit, j’ai surpris une conversation à quelques tables de moi. “Un incendie à éclaté cette nuit à Black Waters. Les cendres de plusieurs personnes ont été retrouvés. Aucun os… Seulement des cendres. Quelle genre de flamme brûle autant?” “Celles de l’enfer…” C’est la première fois que j’entendais parler des Cerbères. Je me suis approchée, curieuse, et je me suis liée d’amitié avec ces hommes à la barbe hirsute. Seule et sans toit, j’ai expliqué à ces chasseur ma situation, et ils ont commencés mon entraînement. Pour eux, mon but était de punir mes geôliers, mais ça n’a jamais vraiment effleuré sérieusement mon esprit. Depuis que j’ai entendu l’histoire des Cerbères, les gardiens de la face cachée de la lune, rien ne m’obsède davantage. Si eux-même ne peuvent me dire qui des hommes et des bêtes méritent la vie, alors jamais je ne saurai de quel monde je suis.